dimanche 3 août 2008

XIX e SIECLE : LA NEUROLOGIE CONTRE LA PSYCHOLOGIE



LE XIX e SIECLE :

LA NEUROLOGIE CONTRE LA PSYCHOLOGIE

Le XIX e siècle se présente comme un siècle de mutations décisives. L’industrialisation, l’exode rural, le développement du commerce et des grandes villes, les appétits spéculatifs d’une bourgeoisie triomphante et affairiste, l’apparition d’un prolétariat urbain, nouvelle pauvreté engendrée par l’essor économique..., tous ces éléments signent l’entrée dans le monde moderne et la rupture avec le classicisme.

Même si quelques mouvements littéraires restent critiques envers la modernité et le progrès, le XIX e siècle renouvelle, par obligation, sa confiance en la science qui conserve toujours autant d’autorité pour élucider les mystères du monde.

« Seul le savant a le droit d’admirer ». E.Renan, « L’avenir de la science » (1890)

« Il faut croire en la science, l’expérience peut seule nous apprendre ».

C. Bernard, « Introduction à la médecine expérimentale » (1865)

Dans ce contexte positiviste, la médecine cherche aussi à afficher ses prétentions scientifiques. Elle veut prouver qu’elle a rompu définitivement avec la théologie et la métaphysique, qu’elle avance à grands pas vers la connaissance et qu’elle peut concourir à assurer le bonheur de l’humanité.

La notion de « Santé Publique » se développe et, par la mise en place d’un ministère, devient une des responsabilités de l’Etat.
On assiste aussi à la création de l’ « Office International de l’Hygiène », futur O.M.S (Organisation Mondiale de la Santé.)

En matière de recherche, la préoccupation essentielle concerne l’étude du cerveau et des voies nerveuses. La neurologie y acquiert ses lettres de noblesse et s’impose comme la spécialité médicale dominante. Elle seule pense être capable de résoudre l’énigme de la folie en y apportant une explication organique.

Néanmoins, résistant au courant organiciste ambiant, quelques médecins et philosophes vont permettre à la psychiatrie de connaître sa véritable naissance et de s’extirper, non sans difficulté, du carcan de la neurologie.

Ils se détournent de la théorie des vapeurs et des humeurs, pour tenter de comprendre, en termes de psychologie, ce qu’est l’âme humaine ou la « psyché ». Ils redécouvrent l’existence de cette volonté intérieure irrationnelle, dont on parle depuis l’Antiquité, et qui semble d’ailleurs se rapprocher de plus en plus de la notion d’ « inconscient » mise en valeur par le romantisme réaliste des écrivains.

Alors que les théories organiques condamnent la folie comme une dégénérescence incurable, la philosophie et la psychologie lui reconnaissent une existence sociale et la considèrent comme une expérience humaine naturelle et inévitable, quelques fois très proche de la normalité.

1

LES PARTISANS DE L’ORGANOGENESE

-L’étude du cerveau :

Au début du XIX e siècle, de nombreuses autopsies sont pratiquées sur les cadavres des malades mentaux, à la Charité ou à la Salpêtrière.

Sans trop savoir ce que l’on recherche, on nourrit toujours le secret espoir de découvrir enfin les causes ou l’origine de la folie.
Et si l’on ne parvient que difficilement à faire état de lésions cérébrales précises, par contre, on s’émerveille encore de toutes les anomalies rencontrées au niveau digestif.
Cette constatation, qui vient renforcer les théories formulées au siècle précédent, confirme bien que la folie prendrait naissance dans la région abdominale.

Certes, la tête est reconnue comme le siège de l’entendement, mais son atteinte ne semble pas être primitive dans l’aliénation, puisque c’est de l’abdomen que partent les impressions qui retentissent au cerveau, par l’intermédiaire du système nerveux sympathique.

On cite d’ailleurs l’exemple de l’ivresse alcoolique à titre de preuve:
Sans souffrir d’aucune maladie cérébrale, un individu peut délirer sous l’effet de l’alcool et redevenir ensuite normal, une fois l’ivresse passée. Il n’y a donc pas altération des facultés intellectuelles.
On en conclut que le délire est bien provoqué par une irritation des muqueuses de l’estomac et de l’intestin par l’alcool.

Une telle déduction, si logique et rassurante soit-elle, n’élucide en rien le mystère du fonctionnement de la pensée. Et force est de constater que le cerveau reste encore un organe inconnu.

Mais, très rapidement, à la lumière de quelques découvertes scientifiques, il va trouver sa place au centre des recherches concernant la folie.

Avant de se consacrer à sa théorie sur la phrénologie, Gall avait constaté, lors d’examens anatomiques, que le cerveau apparaissait constitué de différentes parties reliées entre elles par un réseau complexe de connexions.

En 1811, l’anatomiste anglais Bell poursuit les investigations de Gall dans le domaine cérébral et édite : « Idée d’une nouvelle anatomie du cerveau ». Il prouve, comme Harvey l’avait fait pour la circulation sanguine, qu’il existe une circulation de l’influx nerveux, passant par des nerfs afférents ou des nerfs efférents.

Un autre anglais, le médecin Hall découvre par la suite que la colonne vertébrale est aussi le point de départ de certains nerfs.

Ainsi, une action peut se réaliser sans que le cerveau n’y prenne part. Autrement dit, la conscience et la volonté n’exercent pas un contrôle permanent sur le corps, ce dernier étant capable de fonctionner parfois automatiquement.

Il faut donc admettre qu’il existe un inconscient.

Et on se demande alors si la pensée elle-même ne pourrait pas quelques fois rester inconsciente aussi ou résulter d’un fonctionnement d’ensemble du cerveau, dont une partie échapperait à la volonté.

Toutes ces recherches et interrogations contribuent à l’évolution des idées sur la maladie mentale, puisque désormais c’est résolument du côté du cerveau que l’on se tourne pour en trouver une explication.

-L’exemple de la paralysie générale :

L’entité clinique la plus répandue dans les asiles d’aliénés au XIX e siècle est la paralysie générale.
Comme on en ignore encore l’origine syphilitique, on pense qu’elle est l’aboutissement, le stade terminal de l’aliénation mentale. C’est pour cette raison qu’on lui donne le nom de « démence paralytique ».

Bayle, médecin à Charenton, édite un « Traité des maladies du cerveau » en 1826, dans lequel il démontre l’origine organique de la paralysie générale. L’examen anatomique met en évidence une inflammation des méninges. Il pense alors avoir trouvé la lésion responsable de la folie :

« L’arachnitis chronique est la cause de l’aliénation mentale ».

« La plupart des aliénations mentales sont le symptôme d’une phlégmasie chronique primitive des membranes du cerveau ».

La découverte de Bayle fait définitivement basculer l’orientation des recherches sur la folie vers une organogenèse cérébrale.

Toute altération de la pensée ou du comportement, tout désordre mental doivent maintenant pouvoir s’expliquer par une perturbation localisable dans le cerveau.

« La paralysie générale devint le point de départ historique de l’annexion du champs de la folie par la neurologie ». Postel « La nouvelle histoire de la psychiatrie » (1983)

Dès lors, puisque le cerveau est devenu le seul objet d’étude sérieux, c’est à l’anatomie pathologique et à la neurologie que l’on va s’adresser pour obtenir des éclaircissements sur la maladie mentale. La psychologie et la psychiatrie semblent n’intéresser plus personne.
D’ailleurs nombreux sont ceux qui pensent que les troubles psychiques se rattachent à une anomalie identifiable et certainement irréversible du cerveau. C’est de cette conviction que sont nées les fameuses théories de la dégénérescence.

-Les théories de la dégénérescence :

Morel, médecin chef à l’asile de Mareville, publie en 1857 un « traité des dégénérescences » et en 1860 un « trait » des maladies mentales », dans lesquels il établit clairement que les aliénés sont atteints d’une maladie héréditaire.
Sa doctrine obtient de suite un formidable succès. Elle apporte ce que l’on réclamait depuis longtemps : une explication matérialiste et totalisante de la folie.

Il s’agit d’une tare, transmise de générations en générations, et qui s’aggrave au fil du temps, pouvant ainsi mener à l’extinction de la lignée. Elle va de l’affection légère jusqu’à la dégénérescence profonde comme l’arriération mentale.

« La folie est le résultat de phénomènes pathologiques transmis par hérédité. Elle est un véritable état dégénératif. Si elle est un fait primitif, on a toutes les raisons de craindre que, dans les générations subséquentes, elle ne se caractérise aussi par la dégradation de la race et finalement par son extinction ».

Morel, « Traité des maladies mentales » (1860)

Vers la fin du XIX e siècle, Magnan, aliéniste à Ste Anne, reprend les théories de Morel et propose une nouvelle classification des « folies héréditaires ».

Il sépare les aliénés en deux groupes :

- Les gens normaux à la naissance, qui, sous l’influence de causes diverses (intoxications, alcoolisme, toxicomanie, paludisme, misère sociale, mauvaise constitution des sols, etc...) peuvent tomber malades et devenir des dégénérés.

- Les anormaux de naissance, parmi lesquels il distingue :

Les dégénérés inférieurs (idiots, imbéciles)

Les dégénérés moyens (débiles)

Les dégénérés supérieurs (pervers, alcooliques, psychotiques).

Le malade mental ou dégénéré se reconnaît par des signes physiques (asymétrie du visage, troubles morphologiques divers) et par des stigmates mentaux (instabilité, irritabilité, absence de volonté, impulsivité, obsessions ou phobies, etc...) En général, on constate aussi qu’il a conservé cette ancienne parenté avec la pauvreté ou même l’animalité.

On dispose maintenant d’une certitude rassurante pour expliquer et identifier la folie sans erreur : elle provient de la transmission d’une tare héréditaire qui se manifeste par des troubles mentaux et physiques et par des lésions localisables, au niveau cérébral, très souvent irréversibles.

Ainsi, le danger de la déraison semble parfaitement limité et contrôlé.

L’influence de ces théories a été considérable. La thèse du « criminel né » de Lombroso s’en est directement inspirée. Les romans de Zola, de Huysmans, de Daudet, de Bourget ont répandu dans le public les notions d’atavisme et de fatalité héréditaire.

Dans de nombreux asiles, on en est même arrivé à pratiquer la stérilisation des dégénérés ou des femmes susceptibles d’engendrer des dégénérés.

Aux USA, à la fin du XIX e siècle, des lois ont interdit le mariage des épileptiques, des alcooliques et des syphilitiques.
Et aujourd’hui, on recherche encore assidûment à prouver l’existence d’un déterminisme génétique qui permettrait de mettre à l’écart très tôt , de ficher des individus réputés dangereux qui menacent l’ordre public .

Dans sa considération sociale, à chaque époque, le malade mental a d’abord été condamné pour son anormalité, avant d’être pris en charge pour sa maladie.

-L’avènement des neurologues :

La folie se retrouve donc définie comme une tare héréditaire. Mais cela suppose maintenant de pouvoir en matérialiser les atteintes ou les lésions au niveau cérébral.

La question des localisations devient ainsi primordiale, et c’est avec un mécanisme cartésien que l’on se passionne pour l’étude du cerveau.

On constate par exemple, que certaines zones du cortex semblent commander plus particulièrement certaines facultés ou certaines fonctions et sont donc aussi responsables de leur dysfonctionnement. On explique ainsi l’aphasie, la dysphasie, l’amnésie, l’hallucination... C’est la naissance de la physiopathologie cérébrale.

Le neurologue Magendie, reprenant les recherches de Bell, distingue les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs. On mesure la vitesse de l’influx nerveux, on parle d’activité électrique, et, avec la découverte de la cellule, de pathologie cellulaire.

Une certitude s’impose : la maladie doit s’inscrire dans le tissu des organes ; il y a forcement quelque part un indice ou une trace à découvrir.

Bichat, anatomiste français, créateur de l’histologie, enseigne dans ses cours que, lorsque les tissus s’affaiblissent, ils sont vulnérables aux maladies et sont donc le siège des affections.

Les théories cartésiennes de l’homme machine reviennent en force, et la deuxième partie du XIX e siècle affirme de plus en plus cet élan pour l’organogenèse avec Pasteur, Liebig, Bright, Addison, Parkinson, Hodgkin, etc...

Griesinger, psychiatre et neurologue, qui étudie les maladies mentales à la lumière de l’anatomie pathologique donne le conseil suivant, dans un article sur le diagnostic et le traitement psychiatrique:

« La première chose à faire pour connaître les symptômes de la folie est de les localiser. De quel organe relèvent les signes du mal ?

Les faits physiologiques démontrent que c’est le cerveau. Par conséquent, en cas de folie, il y a un fonctionnement morbide de cet organe ».

Avec la découverte du neurone, à la fin du siècle, on pense que l’atteinte résulte d’une action sur les cellules cérébrales et on va même jusqu’à tenter de localiser les états affectifs dans la structure neuronale elle-même.

Ce sont l’histologie du cerveau et les syndromes neurologiques qui, désormais, détiennent l’explication des névroses et des pathologies mentales.
La cause organique s’impose avec suprématie.

Alors les psychologues, qui se découvrent une passion soudaine pour la biologie qui les poursuit encore aujourd’hui, étudient l’âme au microscope. Les aliénistes se font appeler « neurologues »; ils s’éloignent volontairement de la philosophie, préférant raisonner en physio anatomistes et répertorier toutes les perturbations du système nerveux responsables des troubles du comportement ou de la pensée.

Emportée par ce courant organiciste, la psychiatrie devient une psychiatrie du cerveau :
Le neurologue viennois Meynert détermine qu’un excès de sang au niveau du cortex est à l’origine de la dépression, ce qui rappelle étrangement Hippocrate et sa théorie sur l’engorgement.
Comme Cullen et Rush, il propose qu’en cas de folie, on modifie par des médicaments l’état des vaisseaux cérébraux.

Wernicke, neurologue allemand, étudie les états psychotiques in-duits par la fièvre, l’alcool, la morphine et en conclut que, généralement, les maladies mentales sont liées à des lésions du cerveau.

Korsakov en 1887 avec la description de la psychose alcoolique chronique et Alzheimer en 1906 avec celle de la démence présénile en apportent des preuves supplémentaires : il faut toujours rechercher, comme cause à la folie, une détérioration du tissu cérébral. Et on réutilise, à cette occasion, la vieille notion de « dégénérescence », pour qualifier l’atteinte neurologique.

Par la suite, Pavlov expose sa théorie du « réflexe conditionné ».

Selon lui, les conflits internes et la maladie mentale s’expliquent en termes de combinaisons de neurones qui sont soit surexcités, soit inhibés par les stimuli extérieurs.

Finalement, avec un vocabulaire adapté aux récentes découvertes - on parle de « localisations anatomopathologiques », de « lésions histologiques » au lieu des « ratées de la mécanique cérébrale - on aboutit aux mêmes conclusions qu’au siècle précédent : la folie correspond obligatoirement à un trouble organique.

Toute réflexion psychologique qui oserait s’écarter de cette règle, serait immédiatement rejetée.
Seule une bonne connaissance médicale des voies nerveuses s’avère indispensable pour comprendre les comportements et les pensées.

Il apparaît alors urgent d’établir une nouvelle classification des maladies mentales, selon cette conception organiciste.

C’est l’allemand Kraepelin, neurophysiologiste évidemment, qui s’en charge. Son « Traité de psychiatrie » (1883) sera considéré pendant longtemps comme une oeuvre fondamentale. L’observation du comportement des patients, à laquelle il semble attacher beaucoup d’importance, ne lui sert pas, en réalité, à mieux les comprendre, mais simplement à réunir en vue d’une classification clinique, une collection de symptômes.

Il s’intéresse ainsi au fonctionnement ou au dysfonctionnement de la pensée, mais pas du tout à son contenu, car, pour lui, l’insensé reste insensé.

Il distingue deux grandes psychoses :
- La psychose maniaco-dépressive :
Il la décrit comme une maladie périodique, évoluant par phases successives, maniaques ou mélancoliques, et présentant des périodes de récupération complète entre les phases. Il la considère curable.
- La démence précoce :

Cette pathologie comprend trois syndromes la catatonie, l’hébéphrénie et la démence paranoïde, qui aboutissent à un état terminal de détérioration organique profonde, de démence précoce incurable.

On lui donnera par la suite le nom de schizophrénie.

L’oeuvre de Kraepelin marque l’apogée d’une époque résolument anti-psychologique. Seule l’approche organique de la folie compte.

Les manifestations psychologiques, dont on ne recherche pas le sens, ne servent qu’à établir les classifications.

2

LES PARTISANS DE LA PSYCHOGENESE

Malgré l’importance considérable gagnée par la neurologie qui vient supplanter la psychiatrie, quelques médecins et philosophes, dans l’esprit de Pinel, continuent de se préoccuper du « moral » dans son rapport avec le physique et de considérer la cause psychologique comme primordiale dans la folie.

A l’asile, on parle encore de la nécessité d’améliorer les conditions d’existence des malades. Et, l’expérience et les observations démontrent que le soin que l’on envisage d’apporter à leur pathologie, n’arrive que difficilement à se conformer au schéma du traitement médical classique.

Force est de constater que les symptômes n’ont pas toujours cette indispensable traduction organique. La folie appelle donc une prise en charge particulière et, surtout, une autre explication...

-Cabanis - Esquirol : la réforme des hôpitaux :

La redéfinition du « traitement moral »:

Contemporain de Pinel, Cabanis est un médecin et un philosophe, qui, dans ses « Rapports du physique et du moral » (1802), remet en question la vieille séparation du corps et de l’esprit sur laquelle reposent toutes les théories organicistes :

« Dès que séparée de l’étude de l’homme physique, l’étude de l’homme moral devient une suite d’hypothèses métaphysiques, et dès que séparée de l’étude de l’homme moral, l’étude de l’homme physique devient une pure mécanique ».

Selon Cabanis, le médecin doit être un philosophe moraliste capable de soigner aussi bien le physique que le moral et de reconnaître, en cas de folie, toute l’importance des facteurs psychologiques.

Il réutilise la notion de « traitement moral », convaincu que c’est avant tout par le raisonnement, la persuasion, la douceur, l’appel à la partie restée saine du fonctionnement psychique du patient, la réintroduction du dialogue, que l’on peut obtenir une amélioration des pathologies.

Elève de Pinel, Esquirol est médecin chef à Charenton lorsqu’il rédige : « Des passions, causes, symptômes et moyens curatifs à l’aliénation mentale » (1805).

Sans s’opposer vraiment aux théories organiques et notamment à celles sur l’hérédité et la dégénérescence, il pense qu’il faut rechercher une explication à la maladie mentale dans un autre domaine que celui de la pure anatomie pathologique.

Son expérience lui prouve que des causes morales telles que les passions ou les effets du milieu peuvent parfois aussi conduire à l’aliénation.

Défenseur de la psychiatrie, il veut qu’elle soit une science reconnue et enseignée au même titre que la neurologie. Il inaugure en 1817 à Paris, le premier cours clinique sur les maladies mentales.

Il redéfinit le « Traitement moral » de Pinel et en fait le mot clé de la psychiatrie naissante. La mise en place de ce traitement impose de respecter trois critères fondamentaux dans la prise en charge des aliénés :

1- Isolement dans des établissements spéciaux :

L’asile n’est pas qu’un lieu d’exclusion, il devient aussi un lieu de soins :

« Une maison d’aliénés est un instrument de guérison entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales ».

Pour que l’internement soit réellement curatif, il est nécessaire d’améliorer les conditions de détention.

Esquirol envisage donc de séparer les malades agités de ceux plus paisibles et de remplacer les anciennes cellules par des chambres d’isolement plus confortables. Il prévoit aussi de proposer aux pensionnaires des activités récréatives (théâtre, voyages, etc...).

« Il faut écarter les causes d’excitation qui ont produit l’aliénation et qui l’entretiennent ».

2-Le choix des malades :

La pathologie doit être récente et dater de moins d’un an. Le sujet ne doit pas avoir été traité ailleurs et être indemne, lors de son entrée, de toute maladie contagieuse.

3-Le rôle du médecin :

C’est lui qui a la charge du « traitement moral ».

« Le médecin doit être le principe de vie d’un hôpital d’aliénés ».

Personnage principal de l’institution, il détient toute l’autorité pour imposer une réglementation rigoureuse. Il passe un contrat moral avec le patient.

Son titre de médecin ne lui confère pas vraiment un pouvoir médical, car il ne soigne pas au sens strict et classique du mot, il représente surtout une garantie juridique et morale.
Il est le sage par rapport au fou, une entité sociale qui maîtrise, ordonne, calme et oblige l’insensé à s’accorder avec la raison.

La loi de 1838 :

Etant chargé d’établir un « Rapport sur les établissements consacrés aux aliénés en France », Esquirol en profite pour proposer une réforme des institutions asilaires, en accord avec ses principes thérapeutiques. Il se trouve ainsi à l’origine de l’adoption de la Loi de 1838, qui vise trois objectifs :

- Elle prévoit la création d’asiles d’aliénés dans chaque département.

- Elle fixe les modalités d’hospitalisation ( placement volontaire, placement d’office) afin d’éviter les internements abusifs et reconnaît que seul un médecin est compétent pour juger d’ un état de folie (certificat médical).

- Elle protège les biens des aliénés par la nomination d’un administrateur de biens.

Cette loi est surtout une loi de police, de sûreté, d’administration, faite par la société contre l’aliéné. On y retrouve le rôle de répression et de protection que doit avoir l’institution psychiatrique, mais la préoccupation thérapeutique, telle qu’Esquirol l’avait définie, n’y apparaît pas. Le projet de soin s’est effacé devant la mesure judiciaire.

Cette loi se trouve malgré tout à l’origine du développement de la psychiatrie. Le fou devient un aliéné, celui qui s’est égaré, trompé, et le médecin un aliéniste, celui qui corrige.

Il faudra attendre plus d’un siècle pour que l’on parle de « malade mental » et de « psychiatre ».
Pour l’heure, la folie représente encore une faute, une erreur qui appellent un jugement et une correction ou une sanction.
C’est d’ailleurs à cette époque que la psychiatrie entre dans la justice, pour effectuer ses premières expertises médicales.

Le problème des monomanies :

On demande à des psychiatres d’intervenir, lors des grands procès criminels du XIX e siècle, pour juger de la responsabilité.

La conviction inébranlable que le crime ne peut être qu’un geste de pure folie est remise en question. Il existe effectivement des délires, nommés « folies partielles » ou « monomanies » par Pinel et Esquirol, qui, ne portant que sur un seul objet, restent localisés et exclusifs et respectent l’intelligence :

« Certains sujets ne semblent présenter que des folies partielles ; ils jugent, ils raisonnent et se conduisent bien et, sans cause évidente, ils sont tout à coup emportés par une espèce de perversion des affections morales vers des actes de violence, des explosions de fureur, des crises maniaques. C’est une folie lucide. Les aliénés qui paraissent normaux aux observateurs non avertis, sont d’autant

plus nuisibles et dangereux ».

« Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal », Esquirol (1838)

Il est donc des cas de folie qui ne s’objectivent que par un acte isolé, souvent violent et sans cause ni profit en apparence. Une fois le geste accompli, son auteur redevient parfaitement normal.

Alors comment diagnostiquer sans erreur, comment identifier avec certitude un fou, sachant que celui-ci peut l’être sur un point précis et rester raisonnable sur tous les autres ?

C’est bien le cas aujourd’hui des pervers et des pédophiles.

Le XIX e siècle est ainsi forcé d’admettre que folie et raison peuvent parfois cohabiter chez un même individu. Comme toute maladie ne représente pas systématiquement une perte complète de la santé, la folie n’est pas non plus une perte complète de la raison.

Et si le « traitement moral » prend ainsi toute sa valeur, puisqu’il s’adresse à la partie restée saine du psychisme, la notion de folie, quant à elle, devient très floue.

On a cru longtemps que la raison était inaliénable. Ce jugement de la société civilisée est erroné. La vie psychique ne se limite pas à la volonté, elle s’étend bien au delà. Et la folie ne représente pas qu’une ratée de la mécanique cérébrale ou qu’une simple atteinte organique, elle est cette possibilité, inscrite dans la nature humaine de faire vivre la part d’insensé, de non contrôlé qui habite en chaque individu.

-La méthode « psychothérapie » est appelée psychiatrie :

Ces réflexions vont peu à peu conduire la psychiatrie dans un autre domaine que celui de la seule recherche des localisations cérébrales. Elle va s’attacher à comprendre mieux ce qu’est l’esprit, cette partie de l’être humain qui est la plus influençable par le milieu de vie et les exigences culturelles, mais cette partie aussi, qui, tout en s’accordant avec les principes de vie communautaires, conserve sa liberté, son libre-arbitre et ses propres errements.

Cette approche existentielle, qui fait contre poids au lourd matérialisme de la neurologie, redonne la parole aux philosophes de l’Antiquité et aux humanistes de la Renaissance. Pour un temps, on va retrouver les notions d’ « équilibre mental » ou de « vie irrationnelle intérieure ». Grâce à l’introspection, à l’analyse psychologique des comportements, l’individu machine redevient un individu personne, avec ses faiblesses qui font sa richesse et sa folie qui peut parfois prendre les apparences de la normalité.

Reil, psychiatre allemand, créateur du mot « psychiatrie » marque un changement important dans la façon de considérer et de traiter la maladie mentale.

Dans son livre « Rhapsodies sur l’application de méthodes thérapeutiques psychiques aux troubles mentaux » (1803), il définit la folie comme un phénomène uniquement psychologique.

Il pense que pour en venir à bout, il faut agir sur les sentiments et les idées qui sont :

« Des moyens adéquats pour corriger les troubles du cerveau ».

Il donne le nom de « psychiatrie » à cette technique psychothérapique.

Selon lui, le médecin de l’âme doit avoir des qualités d’intuition et de perspicacité supérieures à celles du médecin qui s’occupe des maux physiques. Parce qu’il lui faut apprendre son art non pas dans les livres ou les salons, mais au contact des patients.

Ainsi traiter la folie suppose un savoir acquis par l’expérience.

Et tous les psychiatres de l’époque le comprennent et sont très attentifs à l’observation des malades. De nombreux articles sont rédigés concernant la description des troubles du comportement, de l’affectivité ou du jugement.
Mais il n’est plus question de classer et d’énumérer les symptômes sans les comprendre. On commence à relier les différentes manifestations superficielles et isolées à un trouble plus profond, celui de la personnalité.

Moreau de Tours, médecin et philosophe élève d’Esquirol, va préciser davantage ce que doit être ce traitement psychologique.

Dans « Du haschich et de l’aliénation mentale » (1845), il établit un parallèle entre la drogue, le rêve et la maladie mentale.
Il prouve qu’il est possible de fabriquer artificiellement une pensée folle à l’aide de substances hallucinogènes, sans qu’elle ne corresponde à une réelle atteinte physiologique.
Un sujet peut délirer sous l’effet du haschich qui entraîne, comme le rêve, un état psychopathologique transitoire.

« Les rêves sont faits de la même substance que les hallucinations ».

En réalisant ce que la réalité refuse, le rêve devient l’expression de la vie intérieure, de cette vie maîtresse de tous les désirs.

Et la maladie mentale est un rêve permanent qui permet de changer la réalité. Elle n’est pas qu’un trouble partiel ou qu’une simple ratée de la mécanique cérébrale, elle traduit une perturbation de toute la personnalité et l’existence d’une structure psychologique agitée par des conflits internes.
Moreau préconise l’introspection comme méthode de compréhension et de psychothérapie de la folie.
C’est dans la vie intérieure, dans la volonté inconsciente qu’il faut rechercher une explication aux penchants affectifs désordonnés ou aux comportements irrationnels.

Malgré cette avancée de la psychiatrie, et la Loi de 1838, les conditions de détention des malades à l’asiles restent encore déplorables.

Reil, entre autres, décrit la ségrégation et la contrainte cruelle dont ils sont victimes : « Nous incarcérons ces malheureuses créatures comme des criminels dans des prisons désaffectées, loin des portes de la ville, ou dans des cachots humides où jamais ne pénètre un regard compatissant et humanitaire, et nous les laissons pourrir, enchaînés, dans leurs propres excréments. Leurs fers entaillent leur chair et ils regardent avec envie la tombe qui terminera leur malheur et dissimulera leur honte ».
« Rhapsodies... » Reil (1803)

Les malades violents sont enchaînés nus. Les coups de bâton sont fréquents. Les gardiens, pour la plupart, sont des geôliers, des brutes peu enclins à un quelconque sentiment d’humanité.

Même si l’on préconise des activités récréatives , des voyages ou quelques récompenses et gratitudes, on est encore loin d’avoir mis fin aux punitions, aux intimidations, aux coups de fouet, aux immersions prolongées dans l’eau froide, aux suspensions à des cordes, aux saignées, aux cautérisations et surtout au règne de la peur qui reste toujours considérée comme le meilleur remède pour ramener les fous à la raison.

Si quelques médecins commencent à penser la psychiatrie autrement, l’asile lui, n’est pas encore prêt à accepter un véritable changement.

-Les psychiatres allemands précurseurs de la psychanalyse :

Alors qu’en France, le second empire s’affaiblit sous la corruption interne, l’Allemagne connaît une période économique et politique faste avec Bismarck et la réunification. On y réorganise les universités, on établit des programmes adaptés aux découvertes scientifiques récentes, on favorise la recherche. Il n’est donc pas étonnant qu’une réflexion psychologique sur la maladie mentale ait pu aussi bénéficier de ces circonstances favorables.

Trois médecins allemands, plus philosophes que psychiatres et très peu connus, vont, avec un demi siècle d’avance, découvrir la psychanalyse.

Il s’agit d’Heinroth, d’Haindorf et de Carus.
Ils établissent que le fonctionnement psychique repose sur une dynamique interne mettant en rapport trois instances :

- L’instance inférieure :

Elle regroupe les forces instinctuelles et les sentiments

Elle vise la recherche du plaisir.

Freud lui donnera le nom de « Ca ».

- L’instance moyenne :

Elle fonctionne avec l’intelligence. Elle est l’instance

centrale de la personnalité. En partie inconsciente,

elle obéit aussi au plaisir et à la jouissance.

C’est l’ Ego, le « Moi » égoïste.

- L’instance supérieure :

Elle représente la « conscience de soi » ou « conscience

morale » qui se différencie du Moi par le contact avec

la réalité du monde extérieur.

Elle est l’instance qui déclenche les conflits à l’intérieur

du Moi car elle s’oppose à l’égoïsme, à la satisfaction

immédiate des plaisirs.

C’est un porte-parole intérieur que Freud appellera

Sur-moi et qui deviendra un concept clé de la psy-

chanalyse.

Cette façon de concevoir la vie psychique n’est pas nouvelle. Les philosophes grecs l’avaient déjà imaginée ainsi, de même que St Augustin avec la notion de « conscience de soi » ou Spinoza avec celle d’ « inconscient dynamique ».

Tous reconnaissent comme indispensable le maintien d’un équilibre psychique intérieur, témoin de la bonne santé mentale.

Une édification saine de la personnalité doit permettre à l’individu de vivre en paix avec sa conscience ; la maladie mentale, signe justement d’un conflit avec la conscience, entraîne une perte de substance de la personnalité, une perte d’amour propre et d’identité.

Soigner, c’est aider le patient à rendre son Moi plus solide.

Et les psychiatres allemands, comme Platon, Socrate ou Aristote, pensent qu’il faut « reconstruire l’intérieur », pratiquer une rééducation mentale, une deuxième éducation.

Le traitement qu’ils préconisent est l’introspection. Il est nécessaire de découvrir ce qui est caché, de s’intéresser à ce qui se passe dans l’inconscient :

« Pour comprendre l’essence des processus mentaux conscients, il faut rechercher dans la zone de l’inconscient ».
« Psyché », Carus (1846)

« La foi en la vérité révélée est le seul remède aux maladies mentales » Heinroth (1818)

Grâce à l’introspection, le malade va mieux se connaître et découvrir les causes de sa maladie. Il va réaliser aussi, comme l’avait remarqué Hippocrate, que son esprit conserve en lui des forces insoupçonnées lui permettant de s’auto guérir.

Freud parlera de choses analogues, un demi siècle plus tard. Il inventera une méthode pour sonder les profondeurs de l’inconscient et faire ressurgir les éléments du conflit psychique qui sont à l’origine des pathologies.

Mais il ne fera jamais référence à ces psychiatres allemands qui sont restés inconnus, alors qu’ils avaient largement anticipé la découverte de la psychanalyse.
Pour retrouver une réflexion semblable à la leur, il faudra patienter jusqu’à ce que se manifeste l’influence du courant psychanalytique.

Entre temps, la psychiatrie va traverser une autre période stérile et s’en retourner à ce conservatisme thérapeutique rassurant développé par les théories organique.

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PHILOSOPHES ET ECRIVAINS : LES VRAIS PROMOTEURS DE LA PSYCHOLOGIE

En France, depuis le projet de réforme des institutions asilaires engagé par Esquirol, les choses ont bien du mal à se mettre en place.

S’il y a un changement que l’on peut constater, c’est que le fou que l’on vient de libérer de ses chaînes, se retrouve finalement prisonnier dans un espace peut être encore plus fermé que celui de l’internement classique.

Il doit maintenant contrôler sa folie en obéissant aux ordres du médecin, lequel est devenu le personnage principal de l’asile, ayant su acquérir une toute puissance et une autorité qui incarnent le respect, la morale, la loi, la justice. Investi de tous les pouvoirs de l’institution, il est la haute conscience, la force de persuasion qui contraint l’insensé à s’accorder avec la raison.

C’est ce pouvoir là, justement, que Freud et Charcot sauront mettre à profit plus tard.

La folie n’a pas vraiment droit d’asile. Les idées nouvelles concernant la psychothérapie ne se développent pas.
Délivrés de leurs fers, les malades sont forcés de vivre une autre forme d’aliénation, puisque toute leur volonté se limite au respect de celle du médecin. La peur, la contrainte et la soumission restent d’usage courant.
Mais si à l’asile, on entrevoit peu d’évolution, par contre, dans la société commence à se profiler un changement d’attitude par rapport à la folie .

On le doit aux philosophes et aux écrivains, qui, bien mieux que les aliénistes, se font les vrais promoteurs de la psychologie. Ils se mettent à parler de la « force vitale irrationnelle », de cette « volonté intérieure » qui échappe à la conscience et qui s’exprime parfois par des comportements pathologiques.

Peu à peu, grâce à eux, on réalise que la folie n’est pas uniquement erreur, mensonge, fausseté ou culpabilité dans lesquels l’internement l’avait condamnée. Elle exprime une certaine vérité humaine, car le fou présente une image déformée de l’homme normal, il en a les travers accentués. Et ce reflet met à jour la part de folie qui existe en chacun, apportant comme au Moyen âge, un enseignement : la connaissance de soi passe par la connaissance du fou.

Mais si l’aliéné n’est plus cet étranger que l’on repousse au portes de la ville, dans des asiles fermés, et si l’on reconnaît qu’il vit un peu en chaque individu, qu’est-ce qui peut garantir alors à l’homme normal de ne pas sombrer un jour dans la folie ? La morale, la raison, la science ? Resteront-elles ces valeurs sûres, ces garde-fous inébranlables préservant de toute déraison ?

-Les philosophes et l’inconscient :

L’inconscient devient une des préoccupations principales du discours philosophique. Il s’agit d’en décrire la nature et de lui arracher les secrets qu’il semble détenir au sujet de l’énigme de la folie.

- Le philosophe William James (qui sera membre du premier Comité d’Hygiène Mentale aux USA, en 1908 ) conçoit l’esprit comme un organisateur qui utilise les souvenirs, les expériences et les apprentissages passés pour les mettre au service de la vie, de l’adaptation et de la construction de la personnalité.

Selon lui, l’activité du psychisme, comme celle du corps, obéit à une loi qui ne dépend pas de la volonté consciente ou du respect des règles morales. Cette loi est une force intérieure dynamique et incontrôlable qui recherche constamment le plaisir, tout en essayant de maintenir une stabilité de l’équilibre vital et de la tranquillité psychique.

- Le philosophe allemand Schopenhauer ( « Le Monde comme volonté et comme représentation » 1819) nomme cette volonté inconsciente commune à tous les individus le « Vouloir-vivre ». Il remplace le « cogito ergo sum » démodé par le « volo ergo sum ».

Autrefois appelée « esprits animaux », cette force irrationnelle a le pouvoir de gouverner l’homme à son insu.
Elle n’est pas dirigée par la raison et la morale, mais par des pulsions instinctuelles, des passions qui échappent à l’emprise de la conscience.

Schopenhauer en conclut que pour accéder au bonheur, il faut, par le renoncement et l’ascétisme, parvenir à se délivrer de cet asservissement.

- Nietzsche, un autre philosophe allemand, (« Généalogie de la morale », 1887 , « Ainsi parlait Zarathoustra », 1883 ) reste persuadé qu’au contraire, l’homme doit développer davantage cette volonté irrationnelle. Elle représente ce qu’il y a de plus fondamental dans son existence, c’est à dire sa vie intérieure, sa véritable condition humaine. Il ne faut pas qu’elle soit étouffée par la morale, la religion, la raison et la science qui lui donnent l’illusion de posséder la maîtrise complète de son adaptation à la réalité.

- Kierkegaard, philosophe danois (« Le journal d’un séducteur », 1843), adapte la même position que Nietzsche. Il pense que faire confiance aux possibilités scientifiques est un leurre qui nous éloigne de plus en plus de la connaissance de notre vérité intérieure d’être humain.

C’est en mettant en valeur, grâce à l’introspection, la richesse de sa vie subjective, en partant à la découverte de son propre moi, que l’homme peut réaliser que le sens profond de son existence se trouve d’abord dans la connaissance de soi. Ce n’est pas la conquête du dehors, qui lui permet de grandir, mais celle du dedans.

Kierkegaard, en ce sens, s’affiche lui aussi comme un précurseur de la psychanalyse. Il considère que tous les phénomènes psychologiques, y compris ceux pathologiques, font partie des phénomènes naturels et obéissent à une force irrationnelle universelle.
Les comportements ne sont pas déterminés par la raison ou la morale, mais par cette volonté biologique intérieure.

- Hartmann, un autre philosophe allemand (« La philosophie de l’Inconscient » 1896), va donner un nom à cette énergie dynamique intérieure qui préside à la destinée humaine.
Depuis des siècles, avec les notions d’ « esprits animaux », de « passions », de « volonté irrationnelle », on tentait d’expliquer ce phénomène que Platon avait déjà constaté : le contenu mental n’est pas toujours conscient et l’homme n’a pas le contrôle de son psychisme.

Désormais, cette partie cachée de l’être humain qui représente sa vie subjective porte un nom, elle s’appelle « Inconscient ».

-Le romantisme et la folie :

Si les révélations des philosophes n’apparaissent pas entièrement nouvelles, elles permettent quand même à cette vérité sur l’existence d’un inconscient, latente depuis l’Antiquité, de voir enfin le jour.

Tout le monde en convient : l’esprit a effectivement la faculté de maintenir hors de la conscience des pensées et des souvenirs. Mais il semble bien plus difficile d’admettre que cette partie cachée, enfouie, puisse, sans que l’on y prenne part, ressurgir et entraîner des perturbations dans le fonctionnement psychique.

Quelquefois, la conscience, débordée par une remontée de ces souvenirs refoulés, n’est plus en mesure d’assurer correctement sa fonction organisatrice. Et les affections, les sentiments, les émotions, les passions ou les fameux « esprits animaux » désordonnés deviennent maîtres de l’âme et lui occasionnent les pires tourments : conflits, angoisse ou déraison.

En fait, la pensée ne peut pas se réduire à la simple conscience et les motifs apparents de nos actes ne sont que des phénomènes de surface. Si l’on compare le psychisme à un iceberg, notre vie intérieure en représente toute la partie immergée, la plus importante, celle justement où se déroulent les vrais drames de l’existence.

Les écrivains, à leur tour, et peut être avec davantage de réalisme que les philosophes, se mettent à décrire les manifestations de cet inconscient dans la vie quotidienne.

Ils s’intéressent, comme Shakespeare et Cervantès, à l’analyse des comportements et des personnalités, mais c’est avec plus de conviction, cette fois, que la raison se retrouve définitivement détrônée par l’imagination et la sensibilité. La nature humaine se dévoile et la folie est reconnue dans les comportements ordinaires. Les fantasmes, l’instinct, l’irrationnel ont le droit de s’exprimer.

Dans les romans autobiographiques, on s’analyse de l’intérieur, on s’examine jusqu’à ressentir un malaise, un dégoût de soi.

Le moi se raconte et prend conscience de son profond mal de vivre. On ne se contente pas de parler de la folie, on la vit. Elle manifeste sa présence dans toutes les relations humaines.

- Sade, avant Freud, donne la parole à cette déraison qui habite chaque individu, à ces instincts et ces pulsions irrépressibles qui expriment l’impudique et perverse nature humaine :

« Il est dans la nature humaine d’être pervers, criminel, etc... Quel désir pourrait-il être contre nature, étant donné qu’il a été mis en l’homme par la nature elle-même?

La folie du désir, les meurtres insensés, les passions délirantes ne représentent que la sagesse de la nature humaine : l’homme reste fidèle à sa nature ».

(« Justine ou les malheurs de la vertu », Sade, 1797)

L’homme n’est donc pas naturellement bon, ni respectueux des règles morales et encore moins maître de son existence. Il cache un inconscient pervers et amoral qui dirige ses comportements et son évolution.
Même l’amour, ce grand bien sacré de la culture judéo-chrétienne devient avec Sade une force sado-masochiste agressive, faite de toute puissance paranoïde et imaginaire :

« Le Je amoureux est pervers et jouisseur ».

Finalement, la raison, la morale, la science et la confiance dans le progrès ne sont pas des valeurs inébranlables et ne suffisent pas à garantir de la normalité et de la bonne conduite. La folie est une faiblesse naturelle qui occupe une place importante dans la réalité du monde humain.

Les romans du XIX e siècle vont en traduire l’existence et la mettre en scène au travers des difficultés sociales et économiques quotidiennes.

-C’est avec Goethe, dès 1770, qu’apparaît ce mouvement littéraire qui s’oppose résolument au rationalisme et au classicisme.

Dans les « Souffrances du jeune Werther » (1774), l’auteur présente l’histoire d’un jeune héro tragique qui incarne toutes les angoisses et tous les tourments vécus par les générations de la période de la fin du XVIII e siècle et du début du XIX e. Cette oeuvre inspire ensuite de nombreux romans et provoque aussi une vague de suicides à la « Werther ».

- Stendhal, dans le « Rouge et le noir » (1830), explique comment les pesanteurs et les difficultés de la vie entraînent Julien Sorel à accomplir un acte fou et criminel.

- Balzac, à partir de 1833, se lance dans la rédaction d’une série de 91 romans : « La comédie humaine » Il ne reste pas qu’un simple observateur de la réalité humaine, il la transfigure. Son univers est féroce, ses personnages sont animés d’une volonté terrible et possèdent parfois des passions inquiétantes ou monstrueuses.

- Gautier écrit des récits où il est question d’irrationnel :
« La morte amoureuse » (1836), le « Spirite » ou « Arria Marcella ».

Des femmes mortes viennent tourmenter des hommes bien vivants.

Les pouvoirs de l’esprit semblent se retourner contre l’homme, à tel point que l’imagination entraîne des hallucinations , des folies.

- Poe, dans ses « Histoires extraordinaires » (1856) décrit un héro, dont la conscience, sans cesse agitée par les angoisses, est en état d’alerte permanent.
Cette attention démesurée le conduit parfois à la terreur, à l’hallucination, à la folie.
Dans « Wilson », croyant tuer l’homme qui le poursuit, le héro s’aperçoit qu’il s’est assassiné lui-même.

- Le « Horla » de Maupassant (1887) présente un sujet possédé par une chose invisible qui rend sa vie insupportable et détruit peu à peu son intégrité psychique.
Dans ce récit, les personnalités se fragmentent, se déchirent, se croient persécutées.

- Zola réalise avec les « Rougon Macquart » (1871-1893) une fresque sociale, un grand roman d’analyse humaine.
Il fait ressortir les lois et les forces obscures qui régissent les comportements individuels ou collectifs. Le monde y apparaît inquiétant, possédé par des pulsions criminelles, des perversions qui le conduisent à des émeutes, à des férocités.
L’être humain est décrit comme dominé par des penchants inconscients et exalté par des phénomènes où se révèle, sans mesure, toute la folie d’une espèce de violence primitive et incontrôlable.

-Stevenson, avec « Dr Jeckyll et Mr Hyde » (1886), présente un docteur tout à fait respectable, pourtant habité par un double nocturne qui lui fait commettre les pires exactions.

Si l’on retrouve dans ces romans une certaine survivance des idées de magie et de superstition du passé, il est clair que désormais, la possession ne vient plus de l’extérieur. Elle n’est plus démoniaque, mais bien rattachée à la folie humaine, à l’existence de profondeurs maléfiques dans la psyché.

Les forces obscures, les esprits animaux sont l’expression de conflits psychologiques inconscients.
Les écrivains donnent à des gens normaux en apparence, la possibilité d’avoir des comportements fous.
Tout individu qui se prétend honnête, savant et respectueux a, malgré lui, un double violent, cruel, bestial et fou.

Il y a des domaines qui échappent à la toute puissance de la raison et de la connaissance, domaines irréductibles de ténèbres et de folie indissociables de l’être humain.

Le raisonnable n’a finalement de sens que par rapport à l’insensé; la littérature nous l’enseigne bien mieux qu’un langage médical hermétique qui, trop souvent, reste éloigné de la réalité.

Au cours de ce siècle, certains auteurs, en donnant vie à des personnages fous dans leurs romans, ont donc permis de découvrir beaucoup de choses sur la folie.
D’autres, par contre, écrivains ou artistes, sont allés jusqu’à faire eux-mêmes l’expérience de la maladie mentale.
Ce fut le cas de Nerval, Artaud, Maupassant, Holderlin, Beaudelaire, Verlaine, Van Gogh, etc...
Un moment leur folie a peut être pu se confondre avec leurs oeuvres, dans une même vérité, dans un même élan de génie.

Mais est-on sûr de pouvoir rencontrer l’art, cet art brut tellement recherché aujourd’hui, là où la folie, une fois installée, ne laisse la place qu’à la destruction, à la souffrance et au néant ?

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LA MAGIE DE L’HYPNOSE ET DE LA SUGGESTION

Avec la philosophie et la littérature, la folie est enfin sortie du silence de l’asile. Et, libérée de son enfermement, elle prend une dimension sociale.
Elle est cette réalité humaine qui semble n’épargner personne puisque tout individu possède en lui cet inconscient désordonné et asocial qui l’agite et dirige tous ses comportements.
L’équilibre de la personnalité est donc perçu comme quelque chose de bien fragile et l’on commence à comprendre que sa rupture peut avoir plusieurs degrés.

Mais à quel moment doit-on parler de pathologie, à quel endroit exact se situe la frontière entre le fou et le non fou, sachant qu’il y a toujours un peu de folie dans la normalité ?
La réponse est à rechercher dans cet inconscient qui, par obligation, se place au centre du débat sur l’origine des troubles psychiques. Quelques cliniciens, dont certains seront les proches collaborateurs de Freud, vont essayer d’en apporter la preuve, avec l’expérience de l’hypnose.

Le neurologue Charcot, partisan des théories organiques, travaille alors à la Salpêtrière. L’établissement ne compte pas moins de 5000 patients.
Il s’occupe du quartier des épileptiques et s’aperçoit que, parmi eux, se trouvent enfermés des hystériques qui, par mimétisme, reproduisent à la perfection les symptômes épileptiques (convulsions, paralysies).

Charcot profite de l’occasion pour réaliser une étude plus approfondie de l’hystérie, maladie très répandue à l’époque, et les observations qu’il en apporte mettent en évidence la participation importante de facteurs psychologiques dans cette pathologie.

Il acquiert même la conviction que la paralysie hystérique est liée à des processus mentaux uniquement. Les malades que Mesmer parvenait à guérir au siècle dernier, n’étaient en fait que des hystériques, et la méthode qu’il employait pour les traiter, nommée « magnétisme animal », ressemblait beaucoup à de l’hypnose et à de la persuasion.
C’est pourquoi, à partir de 1878, Charcot redécouvre l’aimant et ses propriétés et réutilise l’hypnose pour réduire les paralysies de ses patients. Et il constate que ça marche. On peut effectivement, par la suggestion hypnotique, provoquer ou faire disparaître artificiellement des états de paralysies chez des malades influençables.

Les phénomènes physiques, souvent spectaculaires dans l’hystérie, ne sont en réalité que de purs phénomènes psychiques ne correspondant à aucune atteinte organique réelle.
L’esprit est donc capable de souffrir et même d’exprimer cette souffrance à travers le corps en simulant des troubles.
La preuve est ainsi apportée de l’existence de la maladie mentale.

Charcot constate que, sous hypnose, technique d’introspection un peu magique, il est possible de retrouver, dans l’histoire du patient , des évènements traumatiques qui ont engendré les symptômes hystériques. Ces derniers ont une signification symbolique inconsciente et leur réminiscence semble avoir un effet cathartique.

Bernheim, médecin français, s’intéresse aux études de Charcot. Dans son livre « La suggestion et ses applications thérapeutiques » (1889) , il explique que l’hypnose n’est finalement qu’un instrument, une technique d’accès à l’inconscient, mais qu’elle ne peut en aucun cas venir à bout de l’hystérie. Seule la suggestion verbale, qu’il nomme « psychothérapie » permet d’agir sur le contenu mental inconscient et de corriger le comportement.

La méthode de l’hypnose devait ainsi perdre de son importance au profit de celle de la suggestion. Elle a néanmoins apporté des éclaircissements sur le fonctionnement de la vie psychique. Il est difficile, désormais, de ne pas reconnaître les motivations inconscientes souvent amorales qui commandent nos actes ou les conflits d’ordre sexuel qui sont à l’origine de troubles mentaux comme l’hystérie.

Ces vérités psychologiques scandalisent l’opinion publique.
On s’explique mieux la méfiance et la réticence de certains médecins et psychiatres à l’égard de la psychologie.

C’est dans ce contexte que Freud est arrivé.

Au cours de ce siècle, ce sont les écrivains qui, en mettant en scène des gens normaux dans leurs romans, présentent une analyse psychologique intéressante des conflits psychiques profonds qui agitent l’âme humaine.

La folie, reconnue comme existante en chacun, retrouve un peu son ancien pouvoir de fascination. Elle révèle les vérités secrètes de la vie intérieure : rêves, fantasmes, désirs coupables, perversité, violence, souffrance, etc... , qui sont en contradiction avec les valeurs morales de l’ époque.

« Le mal existe en soi, dans le coeur qui, comme immédiat, est naturel et égoïste. C’est le mauvais génie de l’homme qui domine dans la folie ».
« La raison dans l’histoire », Hegel (1830).

Si la littérature révèle l’existence sociale de la folie, si l’écrivain ou le poète peuvent en parler et même la vivre, en tant que maladie, elle n’a toujours pas droit d’asile. L’aliéné doit encore supporter des traitements aussi grotesques que bizarres, qui visent à abolir le mal, les violences et les désirs pervers : saignées à blanc, cautérisations intra crâniennes, supplices des chaises tournantes, suspensions à des cordes, immersions dans l’eau, régimes insolites, etc...

Le laudanum, le chloral et l’opium, qui commencent à être utilisés, épargnent un peu les souffrances, mais réduisent considérablement l’intelligence et la vie.

2 commentaires:

so a dit…

J'ai vu un membre de ma famille disparaître derrière ces traitements médicamenteux...Qui peu à peu lui ont éffacé tout espoir de guérison, ou d'aller mieux.Le traitement humain c'est lui qui donne l'espoir de guérison, et la certitude que malgré la maladie mentale, on fait encore partie de la société.

Antipsychocrates a dit…

Tout ceci est faux c'est l'idéalisme psychiatrique qui est strictement déterministe car négationniste, contrairement aux dires des experts en démonologie que sont les psychiatres et psychanalystes, le corps physique existe bien et il faut en prendre soin car l'âme n'existe pas, ainsi que l'au delà. Des psychiatres avaient prédits a mes parents qu'a cause de ma mauvaise âme, je ne pourrais jamais faire d'étude car inintelligent et fou, c'est le concept de folie et la psychiatrie qui ont détruits ma vie, c'est la psychiatrie qui a le concept de bien et de mal, de normal et d'anormal, pas la biologie. J'ai été légumisé par la science de l'âme, au nom du concept fumeux de psychose menaçante, moyennant quoi atteintes corporelles car seule l'âme est importante en psychiatrie et évidemment pas la réalité physique la plus élémentaire. Le concept de "fou" et le pire concept que l'humanité ait inventé, celà permet de justifier touts les abus et le mépris de l'objectivité ainsi que les discours "religieux".
La neurologie a sauvée ma vie en me rendant mon humanité et m'expliquant que ma différence était normale, que je n'étais pas fou et que j'étais plein de possibilité contrairement aux discours des pédo-psychiatres qu'il n'y avait aucun espoir de vie autonome pour moi. tant que vous y êtes vous avez qu'a dire que la sainte inquistion était un repère de progressistes contre les positivistes.