dimanche 3 août 2008

XVIII e SIECLE : L'ASILE, L'ALIENISTE ET L'ALIENE


XVIII e SIECLE : L’ASILE, L’ALIENE, L’ALIENISTE

Le courant philanthropique du siècle passé s’accentue pour aboutir à l’Encyclopédie. Elle exprime ce mouvement de contestation générale qui remet en cause le savoir existant, la monarchie absolue et les dogmatismes religieux.

De nouvelles valeurs, développées dans le « Contrat Social » de Rousseau (1762) ou dans « l’Esprit des Lois » de Montesquieu (1748) vont inspirer la déclaration des droits de l’homme et la révolution. On proclamera la souveraineté du peuple et l’égalité des hommes devant la loi.

Siècle des lumières où le raisonnement, rejetant toujours plus les théories classiques, théologiques ou galéniques, veut s’appuyer sur l’expérience, l’observation et l’analyse objective des phénomènes. Partant de la réalité vécue, on décrit ce que l’on voit avec méthode. Il s’agit de mettre de l’ordre dans les connaissances et de les répertorier dans un dictionnaire.

Et la médecine n’échappe pas à cette obligation.

Suivant l’exemple de la botanique, les maladies sont rangées en espèces, classes ou genres. Cette passion pour les classifications concerne aussi la folie qui trouve sa place parmi les pathologies.

Ainsi commence un énorme travail sur la nosographie des maladies mentales, objet de préoccupations incessantes pour les siècles à venir.

Alors que la folie est à l’étude et que l’on cherche à en apprécier toutes les manifestations, la condition de vie de l’aliéné reste toujours aussi déplorable.

Le combat engagé contre la pauvreté depuis le siècle passé n’a pas porté ses fruits espérés. De nombreux indigents encombrent encore le pays, malgré le renforcement de la politique répressive qui les conduit toujours à l’enfermement.

Et parmi eux, le fou se fait encore davantage remarquer. Il devient urgent et indispensable de créer des structures d’accueil supplémentaires pour les insensés.

En outre, au nom de la liberté et du respect des individus, valeurs chères à l’Encyclopédie, on commence à s’insurger contre les mesures d’internement et les mauvais traitements pratiqués à l’asile.

Avec tout son humanisme, son rationalisme et son esprit scientifique, le XVIII e siècle, comme le XVII e, n’échappe pas non plus, à certaines contradictions :

Concernant la folie, ce sont les explications organiques classiques qui prédominent encore : étiologiquement, elle reste cette maladie du « bas ventre », que l’on tente parfois, paradoxalement, de traiter par des méthodes psychologiques ou morales.

Pinel libère les aliénés de leur chaînes pendant que la guillotine fait tomber des têtes.

L’homme est déclaré naturellement bon par les philosophes alors que le siècle aboutit à une révolution sanglante.

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PERSISTANCE DE LA PAUVRETE

Malgré les mesures prises au siècle passé, les pauvres sont toujours aussi nombreux.

Mais la misère et la pauvreté ne sont plus uniquement interprétées comme des punitions divines. On commence à les comprendre aussi comme des phénomènes socio-économiques, conséquences logiques de l’industrialisation.

Le pauvre n’est donc pas le seul responsable de sa pauvreté, et l’assistance, en ce cas, devient davantage un devoir d’Etat.

On critique le système fiscal qui, en pénalisant surtout les basses classes de la société, entretient le paupérisme.

On conteste les richesses de l’Eglise, qui paradoxalement, veut enseigner la charité.

Et il apparaît de plus en plus clairement que la lutte contre la misère ne doit pas se faire que par la répression ; on pense que le travail, l’éducation et l’instruction sont indispensables pour remédier à ce problème.

La responsabilité de l’Etat est donc engagée, mais la seule réponse qu’il propose est de renouveler, par l’Edit de 1724, les mesures de renfermement du siècle passé.

Et l’Hôpital Général se remplit de plus en plus. Les places s’y font rares et l’on se rend compte que, la plupart du temps, les pauvres capables de travailler n’y apprennent que la paresse.
La solution ne semble plus adaptée.
En outre, les fous continuent de poser de sérieux problèmes de cohabitation à l’intérieur des établissements.

Une Ordonnance de1764 prévoit la création de « Dépôts de Mendicité », pour accueillir les pauvres, réservant ainsi l’Hôpital Général aux invalides et aux insensés. Mais, dans la réalité, ces « Dépôts » ne sont en fait que des agrandissements de l’Hôpital, où, par la force et la correction, on impose toujours une discipline sévère et un travail pénible.

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LA CONDITION DE VIE DU FOU

Alors que les intendants des Hôpitaux Généraux ou des Dépôts de Mendicité réclament sans cesse la création d’établissements spéciaux pour les fous, comme il en existe en Espagne ou en Angleterre, en France, les moyens financiers trop limités empêchent toute réalisation. Seules quelques congrégations religieuses ouvrent des maisons privées.

On se contente d’aménager des « quartiers d’insensés », des cachots ou des « chambres basses » à l’intérieur de l’Hôpital Général. Et les malades s’y entassent ; les plus agités sont enchaînés ou enfermés dans des cages.

Le fou, mal considéré, reste coupable de déraison. Sa folie incarne toujours le mal, une volonté perverse qui suppose un choix.

Et, tandis que l’on s’efforce d’éliminer la misère en la cachant, la folie, elle, paradoxalement, est érigée en spectacle :

Charenton, Bicêtre et d’autres Hôpitaux Généraux ouvrent leur porte, le dimanche, pour que la bourgeoisie vienne se distraire du spectacle des fous.

Redevenue une monstruosité bestiale, la folie est désignée derrière les barreaux, dans un geste qui l’éloigne autant qu’il en protège ceux qui la regardent.

Si le Moyen âge avait montré ses fous, c’était pour leur accorder un droit d’existence et leur reconnaître une certaine sagesse. Le XVIII e siècle les montre pour mieux les condamner et les ranger du côté de l’animalité.

Il y a une certitude rassurante dans cette façon de regarder le fou : il est de l’autre côté des grilles, en dehors de la raison.

C’est contre cette déplorable condition de vie des aliénés que Pinel et ses adeptes s’élèveront à la fin du siècle.

Néanmoins, on peut se demander si ranger, fermer, attacher et punir sont des conduites bien éloignées de celles que l’on pratique aujourd’hui en psychiatrie ?

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LA PENSEE PHILOSOPHIQUE

Pendant que les pauvres et les malades mentaux s’entassent dans les Hôpitaux Généraux, la pensée philosophique s’engage résolument à défendre les droits et les libertés, et à combler ce fossé énorme qui s’est creusé entre la folie et la raison.

Voltaire reste très cartésien et sa définition de la folie pèsera lourd dans l’histoire de la psychiatrie :

« Nous appelons folie cette maladie des organes du cerveau qui empêche un homme de penser et d’agir comme les autres ». ( « Dictionnaire philosophique » 1764 )

L’Encyclopédie emploie quant à elle des termes beaucoup plus nuancés :

« S’écarter de la raison, sans le savoir, parce qu’on est privé d’idées, c’est être imbécile.

S’écarter de la raison, le sachant, parce qu’on est esclave d’une passion violente, c’est être fragile.

Mais s’en écarter avec confiance et avec la persuasion qu’on la suit, voilà ce qu’on appelle être fou ».

Cette définition laisse entendre que chez l’insensé, la raison n’est jamais écartée complètement, qu’ il conserve malgré tout une certaine prise sur la réalité. La folie, en ce sens, semble se bâtir autour ou à partir de la réalité et de la raison.

Le fou se trompe, il est dans l’erreur, sa conscience est aveuglée par ses illusions et ses hallucinations. Mais il est possible de le raisonner, de lui faire entendre raison.

Et l’Encyclopédie complète son explication de la folie, en reprenant la théorie des passions. Ce sont elles qui, par leur excès, engendrent la maladie :

« Les passions vont jusqu’à ôter tout usage de la liberté, état où l’âme est en quelque manière rendue passive (d’où le nom de passion)...Quand cette inclination est mise en jeu aussitôt l’âme la croit par là même digne de toute son attention, alors elle est dans le cas d’un homme accablé d’une maladie aigue :

Il n’a pas la liberté de penser à autre chose qu’à ce qui a du rapport à son mal. C’est ainsi que les passions sont les maladies de l’âme ».

La folie est donc une défaillance du contrôle de soi-même. Les passions sont considérées comme utiles, dans la mesure où elles restent maîtrisées, et elles représentent alors une force de vie qui pousse à agir, à penser, à aimer. Mais abandonnées à elles-mêmes, elles deviennent un obstacle aux connaissances et au bonheur et elles privent celui qui en est débordé de sa clairvoyance.

On est donc responsable de sa folie comme de ses passions.

Les philosophes semblent s’intéresser en fait, davantage aux fous qu’à la folie. Il faudra attendre la fin du XVIII e siècle pour que l’on commence à parler réellement de maladie.

Pour l’heure, il s’agit surtout de se montrer philanthrope et de dénoncer les mauvaises conditions de vie des fous et leur exclusion. On pense à mettre en place une véritable assistance, à réformer les Hôpitaux Généraux et même la société toute entière.

Rousseau, dans le « Contrat Social » (1762), parle d’une forme d’Etat idéal, basée sur le respect de l’être humain et capable de favoriser l’épanouissement de l’individu.

Il y a une croyance inébranlable en une nature humaine bonne et sociable.

A la foi en Dieu succède la foi en l’homme. On refait confiance à la raison et à l’intelligence .

Cet esprit humaniste ne peut que prendre la défense des aliénés, et estomper l’image de l’animalité du fou. Mais si l’on reconnaît que la folie conserve une apparence humaine, on ne remet pas en question l’usage des punitions et des corrections nécessaires pour ramener l’insensé à la raison.

La folie reste une faute, qu’il est possible de corriger.
Le fou reste coupable de s’être laissé débordé par ses passions.

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LA PENSEE MEDICALE

Sur le plan médical, le XVIII e siècle est celui des grandes classifications. La botanique servant d’exemple, on met de l’ordre dans les pathologies comme on l’a fait pour les végétaux.

On range les maladies selon des espèces, des genres, des groupes, etc...
Et chaque classification comporte un « ordre de folies ».
Les troubles mentaux sont reconnus, décrits et répertoriés.
L’intérêt de la nosologie et du diagnostic dépasse largement celui de la thérapeutique.

Notre DSM actuel (manuel de diagnostic en santé mentale) représente une poursuite de cet effort de classification jamais achevé.

En y mettant de l’ordre, on s’imagine avoir une plus grande maîtrise de la maladie, sans pour autant aboutir à une meilleure compréhension, ni à des méthodes de traitement plus appropriées.

Aujourd’hui encore, on bute sur cet éternel problème de l’explication de la folie et l’on se retrouve, comme au XVIII e siècle, prisonnier de l’héritage classique et de la vieille théorie des humeurs.

-La folie est une maladie organique (du bas ventre) :

Elle est perçue comme un trouble de la physiologie nerveuse appelé « névrose », « vapeurs », « vésanies » ou encore « maladie des nerfs ».

Mais les nerfs ou même le cerveau ne semblent touchés dans la folie que par sympathie. L’atteinte primitive de la maladie est située, avec certitude, dans les viscères du bas ventre. Ce sont eux qui sont désignés responsables des pathologies.

Ainsi l’estomac, l’utérus, les intestins, la rate jouent un rôle bien plus important que le cerveau dans l’étiologie des troubles nerveux.

Les urines, les flux menstruels, la vie sédentaire, l’oisiveté, la constipation, les abus alimentaires, etc..., tout ce qui est susceptible d’entraîner une obstruction ou un engorgement des viscères est à l’origine des vapeurs.

En 1769, l’Ecossais Cullen est le premier à utiliser le terme de « névroses » pour désigner les maladies non accompagnées de fièvre. Il démontre qu’il y a toujours un trouble de la physiologie responsable de la perturbation mentale :

« La peur et la tristesse peuvent apparaître dans certains états de faiblesse. La mélancolie dépend de l’état général du corps ; il y a une lenteur dans le déplacement de l’influx nerveux, il y a une rigidité des solides et l’équilibre du système sanguin est rompu ».

(« Premiers principes de la pratique de la médecine » 1777)

A la même époque, Morgagni, célèbre anatomiste Italien, réalise beaucoup d’autopsies. En comparant des organes sains avec des organes malades, il apporte des éclaircissements sur les pathologies. Intéressé par les maladies mentales, il cherche à en localiser les atteintes au niveau cérébral. Mais il n’objective aucun indice, aucune lésion pouvant se rattacher à la folie en cet endroit là. Par contre, il fait état, très souvent, d’engorgement des viscères, d’estomacs irrités ou d’intestins malades...

Faute de mieux, on reste convaincu que la folie trouve son origine dans le bas ventre, même si quelques uns, réfutant cette thèse, souhaiteraient disposer d’explications plus spectaculaires ou de certitudes physiologiques plus réelles.

-Classification des maladies mentales :

Boissier de Sauvages, dans « Nosologica Methodica » (1763) décrit 2000 maladies réparties en dix classes :

Les vices, les fièvres, les phlègmasies, les spasmes, les essoufflements, les débilités, les douleurs, les folies, les flux et les cachexies.

A la huitième classe, les folies ou « maladies qui troublent la raison », se divisent en quatre ordres :

Ordre I :

Les « hallucinations » ou « erreurs de l’esprit ». Elles naissent d’un organe situé hors du cerveau et responsable de l’erreur de l’imagination

Il y a le vertige, la berlue, la bévue, le tintouin, l’hypocondrie, le somnambulisme.

Ordre II :

Les « morosités » ou « bizarreries » : ce sont les désirs ou les aversions dépravés tels que le pica, la boulimie, la polydipsie, l’antipathie, le mal du pays, la terreur panique, le satyriasis, la nymphomanie (ou fureur utérine), le tarentisme et l’hydrophobie (ou rage). .

Ordre III :

Les « délires » ou « erreurs de jugement » occasionnés par le vice du cerveau. Il y a le transport au cerveau ou aliénation ( délire passager du à un poison ou à une autre maladie), la démence, la mélancolie, la manie (la vraie folie) et la démonomanie.

Ordre IV :

Les folies atypiques : amnésie ou insomnie.

Ces ordres sont ensuite eux-mêmes divisés en sous groupes :
on en compte dix pour l’hypocondrie, douze pour la démence, quatorze pour la mélancolie (il y a la mélancolie simple, l’érotomanie, la mélancolie religieuse, etc...)

L’Encyclopédie propose elle aussi sa propre classification :

-La manie :

C’est un délire furieux, sans fièvre, avec colère et agitation.

C’est une maladie longue et chronique.

Elle est due à un épaississement des humeurs, à une sècheresse de tout l’organisme. Au flux perpétuel des humeurs chaudes et sèches correspond le flux perpétuel des idées.

-La mélancolie :

C’est un délire sans fièvre ni fureur où prédominent une tristesse insurmontable, des idées noires,une misanthropie et un besoin de solitude.

Les humeurs mélancoliques froides et humides se transmettent du corps à l’âme, des organes au comportement. Le cerveau, mal irrigué par un sang lourd, ne permet plus le processus normal de la pensée.

A la mélancolie sont assimilées la « passion hystérique féminine » et la « passion hypocondriaque masculine » :

« Il s’agit de vapeurs qui s’élèvent des parties inférieures de l’abdomen pour aller vers le cerveau qu’elles troublent. C’est par l’irritation des fibres nerveuses des viscères que le mal se transmet sympathiquement au cerveau. Cette maladie (hystérie ou hypocondrie),,à force de tourmenter l’esprit, oblige le corps à se mettre de la partie ; soit imagination, soit réalité, le corps en est réellement affligé ».

On ne conçoit plus l’hystérie comme un déplacement de l’utérus, mais ce dernier est toujours responsable de la maladie puisqu’il occasionne le mal par une stagnation du sang lors des flux menstruels.

C’est aussi une mauvaise circulation sanguine, entraînant des troubles tels que les hémorroïdes, qui est à l’origine de l’hypocondrie.

Dans ces deux affections, on accuse une présence anormale de sang dans le bas ventre, dont les manifestations se répercutent vers l’épigastre. Et, de là, l’estomac sert de relais pour diffuser le mal dans le corps entier.

Hystérie et hypocondrie sont encore considérées comme des maladies trompeuses pouvant imiter toutes les autres maladies.

-La frénésie :

C’est un délire continuel accompagné de fièvre et d’une inflammation des vaisseaux cérébraux, qui peut évoluer en manie, en mélancolie ou en léthargie (coma).

-L’épilepsie :

C’est une espèce de maladie périodique convulsive qui prive le patient de l’exercice de ses sens ou d’une partie de ses mouvements volontaires.

-La démence :

C’est une paralysie chronique de l’esprit qui entraîne une abolition de la faculté de raisonner, alors que la folie elle, n’en est qu’une dépravation.

-L’idiotie et l’imbécillité :

On naît idiot par un défaut naturel des organes de l’entendement.

On devient imbécile quand on a perdu la faculté de discernement par manque ou par faiblesse de l’entendement.

Le XVIII e siècle, peu à peu, commence à considérer la folie comme une maladie pouvant se ranger à côté des autres maladies. Il s’agit d’un mal qui, sans provoquer une perte complète de la raison, déborde la conscience et échappe à la volonté.

Et c’est bien cette inconscience qui est désignée comme folie et non pas ses différents symptômes.

Evidemment, il y a toujours des perturbations physiologiques ou organiques responsables. Ce sont des causes proches.

Mais on pense aussi que certaines causes lointaines, telles que des affections vives, des chagrins cuisants, l’humidité de l’air, le retour des saisons, l’influence de la lune, les vents, les glaires, les vers, les fruits d’automne pas mûrs, la colère des nourrices, etc...peuvent agiter ou affaiblir l’organisme et causer des vapeurs.

Et parfois, ces dérangements se communiquent au cerveau.

-Les traitements :

La médecine prend un côté naturaliste. On fait grande confiance aux vertus de la divine nature pour découvrir la panacée, le remède miracle.

A la même époque, on crée le « Jardins des Plantes », Buffon rédige son « Histoire Naturelle », Hanhemann invente sa méthode homéopathique et l’abbé Soury sa jouvence (1764).

Pour traiter les troubles mentaux, tous les végétaux, les minéraux, l’air, l’éther, l’eau, les sels, etc... sont utilisés.

L’opium est recommandé pour faire obstacle à la propagation du mal dans les fibres nerveuses. Il calme l’agitation, les spasmes et les convulsions.

Le lapi lazuli protège de l’humeur mélancolique.

L’émeraude, finement broyée et avalée, adoucit les humeurs et calme l’épilepsie.

Les cheveux brûlés dont on fait respirer les odeurs est un remède souverain pour abattre les vapeurs.

Le lait de femme est bon pour toutes les affections nerveuses.

Le sang humain calme les convulsions, mais son abus peut provoquer la manie. La transfusion sanguine est quelques fois pratiquée, sans succès d’ailleurs, en cas de mélancolie, pour chasser le « mauvais sang ».

L’urine humaine est sensée apaiser les vapeurs hystériques ou hypocondriaque.

Le tartre soluble dissout l’humeur mélancolique.

Le quinquina est utilisé dans toutes les maladies des nerfs.

Ce sont des charlatans, des moines, des apothicaires ,des rhabilleurs qui fabriquent et distribuent ces remèdes.

Parfois, à l’Hôpital Général, les surveillants les utilisent, mais la folie appelle davantage une purification qu’un soin.

On parle d’encombrement des viscères, de bouillonnement d’idées fausses, de fermentation des vapeurs, de corruption des liquides et des esprits.

On pratique des saignées, des purgations ; on donne des émétiques. On inocule la gale ou on provoque des brûlures et des abcès pour extraire le mal ou on le fait dissoudre avec de l’élixir de vitriol. On immerge le fou dans l’eau, des journées entières, pour le purifier.

Mais le traitement le plus couramment utilisé à l’Hôpital est la « peur ».
La folie reste une erreur, une faute, une impureté. Il faut punir et châtier pour chasser le mal et ramener à la raison.
La peur est recommandée comme passion à susciter chez les fous. C’est l’antidote de la folie. Elle dompte la fureur maniaque, réduit l’excitation des fibres nerveuses, apaise les craintes irraisonnées des mélancoliques et des hypocondriaques.
Elle est curative et offre en plus l’avantage d’être aussi une punition.

Dans les quartiers d’insensés, les pensionnaires sont traités avec cruauté. Ils souffrent de l’obscurité, du froid, de l’humidité et de l’isolement. Enfermés dans des cachots, ils subissent souvent des bastonnades. Leurs gardiens sont des pervers sadiques et peu intelligents, souvent inaptes à tout autre emploi.

C’est par la souffrance et la peur que l’on pense corriger la folie.

Parce que finalement, rien ne l’objective réellement. Il n’y aucune différence anatomique visible entre un cerveau qui fonctionne normalement et celui d’un fou. Personne n’a pu observer ces fameuses « humeurs noires », ni mesurer « la sècheresse ou l’humidité » du corps, ni ce « mouvement des esprits animaux ».

L’ignorance, l’incompréhension, le manque de certitudes entraînent un sentiment de crainte, donc une réaction de défense pour se protéger d’un mal que l’on ne connaît pas.

C’est à cette époque que Boerhaave, célèbre professeur hollandais, invente la « chaise rotative », première thérapeutique de choc...

Il pense que les maladies de l’esprit naissent de « mouvements désordonnés » des tissus nerveux du corps et que la rotation peut corriger ce désordre.

Les malades agités, déprimés, délirants ou mélancoliques sont attachés sur une chaise que l’on fait tourner à toute vitesse, jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance.

5

LES DEFENSEURS DES ALIENES

L’étiologie des maladies de la tête reste très obscure, les traitements sont souvent inefficaces. L’asile cache une méconnaissance encore profonde du phénomène de la déraison et une impuissance de la science.

Mais la condition carcérale des insensés pose problème aux philanthropes. Ce sont eux qui vont permettre à l’approche théorique et thérapeutique de la folie de pouvoir changer. La parution des premiers ouvrages entièrement consacrés à la question des troubles mentaux en témoigne :

La « Médecine de l’esprit », Le Camus (1753) France.

La « Philosophie de la folie », Daquin (1791) France.

“Treatise on madness”, William Battie (1758) Angleterre.

« De la folie », Chiarugi (1790) Italie.

“Diseases of the mind”, Rush (1812) Etats Unis.

« Traité médico-philosophique », Pinel (1801) France

Battie, médecin directeur du “St Luke’s hospital for the lunaticks”, définit une nouvelle pratique médicale. Il insiste sur la nécessité d’offrir aux patients des chambres individuelles et de disposer d’un personnel particulièrement qualifié.
Pour lui, le traitement des insensés est une spécialité qui impose la création d’asiles, des établissements adaptés.

Daquin , médecin à Chambéry, propose une thérapeutique où la philosophie se met au service de la médecine. Selon lui, l’homme de l’Encyclopédie ne doit pas tolérer de voir souffrir son semblable, surtout si cette souffrance indique une atteinte de la raison.
Prônant l’exemple de l’humanisme anglais, il dit :

« On peut pallier, soulager et parfois réussir à détruire la folie par les ressources morales ».

Rush

A la même époque, Rush est le premier aliéniste américain à écrire un manuel sur les maladies mentales. Il prend la défense de ces patients que l’on traite comme des criminels ou des bêtes sauvages. Il dénonce les claquements de fouets et le cliquetis des chaînes que l’on entend dans les hôpitaux.

Tout en étant convaincu de la cause organique de la folie et de la nécessité de pratiquer des saignées, des purgations et des traitements avec les chaises rotatives, il se montre aussi partisan de méthodes plus humaines, telles que celles utilisées en Angleterre ou en Italie, pour s’occuper des malades mentaux.

Il pense que les aliénés doivent avoir le droit de sortir à l’air, à la lumière, de bouger et de se promener.

Il fait remarquer que lorsque le médecin est attentif aux détails des symptômes du patient, ce dernier éprouve du soulagement à se confier à lui, et il s’en suit une amélioration notable de sa pathologie.

Ainsi se définit une attitude thérapeutique, basée sur l’usage de la parole au travers de la relation soignant soigné, à laquelle Pinel donne le nom de « Traitement Moral ». L’expérience prouve qu’il est possible d’obtenir des fous une conduite plus raisonnable par des moyens non physiques.

Pinel

Il est nommé médecin des aliénés de Bicêtre en 1793, durant l’insurrection. Il est très influencé par les idées philanthropiques de liberté et de respect de l’individu, développées par l’Encyclopédie.

Suite au rapport établit en 1787 par Tenon, un membre de l’académie des sciences, qui dresse un constat sévère de la situation des aliénés, Pinel publie son « Traité médico philosophique ».

Il explique comment il est possible d’améliorer les conditions d’hospitalisation et de travailler, en même temps, à la guérison des malades.

Sans remettre en question l’origine organique de la folie, il décrit cette pathologie comme résultant davantage d’une perturbation des sensations et de l’imagination que d’une réelle détérioration de la raison et de l’intelligence. Le malade conserve toujours quelque chose de raisonnable auquel le médecin peut s’adresser.

Ce sont les passions qui, selon lui, déterminent ce qu’il appelle « l’aliénation mentale »:

« Les passions sont la clé des causes et des remèdes de la folie. Il ne faut pas éradiquer les passions, mais les contre balancer les unes les autres ».

Le travail du médecin à l’asile consiste surtout à appliquer un « traitement moral ». Son attitude envers le patient doit se situer entre la fermeté et la douceur :

« Le traitement consiste dans l’art de subjuguer et de dompter l’aliéné en le mettant dans l’étroite dépendance d’un homme (le médecin) qui, par ses qualités physiques et morales, et l’application de principes thérapeutiques philanthropiques, soit propre à exercer sur lui une emprise irrésistible et à changer la chaîne de ses idées ».

Avec Pinel, le fou redevient un être humain, capable d’être raisonné. Il supprime l’usage des chaînes qu’il juge bien souvent responsables d’une aggravation de la folie:

« Je crois que ces gens sont insensés parce qu’ils sont privés d’air et de liberté ».

Le médecin trouve alors sa place à l’asile, mais il a un rôle plus moral que médical, puisqu’il y pratique une forme de psychothérapie basée sur des encouragements, des conseils, l’obéissance à des règles d’honneur, de courage. Il passe un contrat avec le malade.

Pinel fait de l’asile la cité de la bonne conduite, de la « bonne liberté » dans le respect de valeurs morales.

Reil en Allemagne, Chiarugi en Italie, Crichton et Tucke en Angleterre développent les même idées.

La psychiatrie veut changer le jugement de la société par rapport à la folie et modifier aussi la relation du malade avec sa maladie.
A travers l’obéissance, le fou redevient une personne morale.
Il est obligé de renouer avec la raison et d’accepter des règles de conduite.

On considère que la vertu est inaliénable et qu’elle peut résoudre la folie. On l’impose à l’asile par des moyens de dissuasion, par la contrainte, par la peur des réprimandes et des punitions.

Le fou est délivré de ses chaînes et de ses barreaux, mais il se retrouve enfermé dans un espace moral, enchaîné à un jugement perpétuel où il est sans cesse surveillé, accusé, suspecté.

Sa seule liberté consiste à accepter la soumission, le repentir, la reconnaissance de ses fautes.
Et ceux qui restent réfractaires à cette uniformisation morale retrouvent le cachot.

6

PERSISTANCE DE LA MAGIE

Durant ce XVIII e siècle, pourtant qualifié de siècle des lumières, s’affirme encore cette volonté de croire à des pratiques magiques ou surnaturelles.

Quelques charlatans, tels que Mesmer et Gall, deviennent célèbres et le succès qu’ils remportent n’est pas loin de les faire admettre dans le monde scientifique.

Mesmer

C’est un médecin, philosophe et théologien, qui se passionne pour l’astrologie et le magnétisme.
Dans une thèse intitulée « De l’influence des planètes » (1766), il parle de l’existence d’un mystérieux fluide corporel qui, selon lui, a le pouvoir de guérir de nombreux troubles et, entre autres, les troubles nerveux.

« Le magnétisme se transmet sous la forme d’un fluide qui peut se transmettre à distance. Son action est propagée comme le son. L’univers est submergé par un fluide subtil, venant des astres et agit sur les êtres vivants par l’intermédiaire du système nerveux ».

Considérant que la maladie est un signe de dysharmonie du fluide corporel, Mesmer met au point un « baquet » conducteur, contenant des baguettes métalliques aimantées, pour soigner ses malades collectivement.

Persuadé d’être lui-même un grand magnétiseur, il délaisse par la suite ses baquets, pour n’utiliser que l’imposition des mains.

Il devient vite célèbre à Paris, grâce aux transes collectives qu’il est capable de provoquer chez les grandes dames hystériques. Elles hurlent , convulsent et , une fois la crise passée, affirment se sentir en bien meilleure santé. La cure provoque certainement, chez ces malades très influençables, une catharsis curative.

Une commission désignée par Louis XVI statue sur l’inexistence du magnétisme et déclare que Mesmer est un charlatan.
Malgré tout, le mesmerisme représente l’intuition préscientifique d’un courant qui se développera au siècle suivant avec l’hypnose et avec les « thérapies miracles » au XX e siècle.

Gall

C’est un médecin qui consacra toute sa vie à l’étude du cerveau. Influencé par les théories de Morgagni, il invente la « Phrénologie ». C’est une technique qui permet, d’après l’étude morphologique du crâne, de déduire le caractère.

Il devient rapidement célèbre et sa doctrine est bien acceptée par la plupart des psychiatres de la fin du XVIII e siècle. Tous se passionnent pour la phrénologie, qui remplace la métoposcopie, la chiromancie, la géomancie, etc...

Gall finit par être discrédité à son tour, mais les idées de localisations cérébrales donnèrent, surtout en Allemagne, un prodigieux élan aux écoles de neurologie.

Malgré son rationalisme, le XVIII e siècle conserve une attirance pour les pratiques magiques : on croit au fluide corporel ou céleste, on porte des bracelets ou des colliers magnétisés comme des amulettes.
Et à cette époque, en France, sévit une véritable épidémie d’hystérie collective, appelée « Épidémie de St Médard ».

Les convulsionnaires de St Médard :

Dans ce cimetière de Paris, le tombeau d’un diacre devient le lieu de guérisons miraculeuses.

Des infirmes retrouvent l’usage de leurs membres, des plaies se cicatrisent. Et le phénomène prend de l’ampleur, lorsque les guérisons s’accompagnent de crises de convulsions spectaculaires.

Alors on se bat pour approcher de la sépulture, et c’est à celui qui entrera en transe le premier. Certains se lacèrent avec les ongles, se donnent des coups de marteau ou de haches, des femmes se font tordrent les seins avec des tenailles, d’autres encore se font piétiner ou sucent des ulcères purulents.

Toute cette agitation entraîne la fermeture du cimetière. Mais aux alentours, les convulsions continuent. Les gens entrent même en transe chez eux, après avoir consommé de la terre du lieu sacré.

L’évènement tourne au scandale et à la débauche, il prend une nette connotation sexuelle. Les convulsions, les bastonnades, les flagellations, les violences deviennent ce mal qui procure du bien, une jouissance où le sexe est à peine caché.
On se rend compte que quelque chose échappe à la raison, quelque chose comme une seconde nature, dans l’être humain, secrète et perverse...

Le mot « lubie », dérivé du mot « libido », très à la mode en cette fin de XVIII e siècle, exprime ce mélange de folie et de lubricité.

Il semble que Sade ne soit plus très loin...

Avec toute sa raison scientifique, ce siècle a établit une classification des maladies mentales. Le fou, comme l’explique Foucault dans son « Histoire de la folie à l’âge classique » (1961), se retrouve « rangé au jardin des espèces ».

On a classé les folies comme les plantes, en faisant confiance à cette divine nature qui a certainement le pouvoir d’élucider les mystères de la pensée.

La France est engagée dans les différents courants intellectuels qui agitent toute l’Europe. Et c’est par humanisme surtout, que l’on commence à critiquer les anciennes méthodes de traitement et les conditions déplorables de détention des malades.

Avec Pinel, le médecin fait son entrée à l’asile, garant d’une morale plus que représentant d’une science. Le fou quitte sa parenté avec la bestialité, sans être reconnu vraiment comme un malade.

Tantôt on le considère comme un être trop sensible dont la raison a succombé sous les coups de l’infortune ou de l’injustice, tantôt comme un libertin qui n’a pas su rester maître de ses passions.

Il prend le nom d’aliéné, et l’on soigne sa folie en passant un « contrat moral » avec lui, assorti d’une menace de punition en cas d’inobservance.

C’est avec ce traitement, qui préfigure les méthodes psychologiques à venir, que le patient doit renouer avec la raison.

Concernant les causes de la folie, les progrès scientifiques ne parviennent pas à détrôner la vieille théorie des humeurs.

On parle toujours d’engorgements, de vapeurs nocives, de bile noire et de la nécessité de pratiquer des saignées et des purgations. Parce que la déraison ne peut que traduire une indispensable atteinte organique.

On a du mal aussi à se séparer de certaines thérapeutiques curieuses, telles que le mesmerisme, qui prouvent que les idées de magie, de superstition et les explications surnaturelles restent étroitement liées à la maladie mentale.

4 commentaires:

Chatgaga a dit…

J'effectue un travail de recherche sur la folie à partir de lecture comme gladys swain, Pinel, Bruno Cassinelli, ...et vous m'avez permis de faire un voyage à travers l'histoire de la Folie. Merci.

C.

Laura a dit…

J'écris un travail sur la folie au XVIIIe siècle.
Serait-il possible de connaître les sources que vous avez utilisées?
Merci!

Unknown a dit…

Bonjour,
je fais un travail concernant la folie et la criminalité dans le cadre d'un master, j'aimerais prendre votre article qui est très intéressant, comme source, pourriez vous me dire comment citer cette source.
Je vous remercie

ghachka a dit…

Votre travail m'a beaucoup aidé pour construire un cours. Mille mercis