dimanche 3 août 2008

INTRODUCTION

« Nous appelons folie cette maladie des organes du cerveau qui empêche un homme de penser et d’agir comme les autres »

Voltaire . Dictionnaire philosophique 1764


INTRODUCTION


La folie est irréductible au langage .Quel rapport y a-t-il entre la nature profonde de l’insensé et ce que nous pouvons en connaître et en dire, nous, les gens sensés ?
Tout effort d’écriture à ce sujet trahit une intention mégalomane de cerner la réalité du fou, mais ne réussit qu’à préciser notre rapport personnel à la folie et à prendre position. Ce qui ne peut se faire sans qu’intervienne un jugement subjectif.

La réalité de la folie reste insaisissable, elle est seulement pressentie par des intuitions souvent plausibles, mais toujours improuvables.
Ce que nous en comprenons, révèle quelque chose de sa nature profonde, tout comme la partie immergée de l’iceberg manifeste la présence de sa masse invisible submergée.
S’intéresser à l’insensé, c’est savoir se pencher au bord d’un abîme, c’est accepter de se passer de certitudes.

De telles affirmations paraissent évidemment peu convaincantes aux esprits épris de rigueur médicale qui n’admettront jamais que la folie puisse être une structure irréductible à notre intelligibilité.











"Je dis toujours la vérité,

Pas toute, parce que toute la dire

On y arrive pas

Les mots y manquent;

C'est même par cet impossible

Que la vérité tient au réel " LACAN



La folie nous renvoie à notre ignorance et à notre impuissance. Et l’énigme reste posée qui entraîne encore aujourd’hui le plus assidu des psychiatres dans des labyrinthes où l’on s’égare...

La meilleure façon d’en parler, sans s’échapper de la réalité, consiste à s’en référer à l’histoire. Celle de l’homme et de cette peur qui a souvent contraint l’insensé au silence, par incompréhension ou par mesure de sécurité. Et l’histoire nous apprend comment la psychiatrie a vu le jour, enfantée justement par cette grande peur et par une médecine qui, se voulant science exacte, fut bien soulagée de se débarrasser de cette spécialité encombrante et trop peu rigoureuse, sans avoir le courage d’avouer son impuissance à expliquer ou à traiter les faits psychiques et la maladie mentale.

Ainsi donc est née la psychiatrie, parente pauvre de la médecine, d’une vielle dualité opposant les maladies du corps et celles de l’esprit. Cette opposition, que l’on s’est toujours efforcé de maintenir, s’est accompagnée d’une condamnation morale qui a enfermé la psychiatrie derrière ses murs pour cacher sa honte ; honte de sa folie et de la pauvreté des traitements.

Et la médecine continue d’ignorer que toute maladie est d’abord mentale avant d’être somatique, que la participation psychique du malade, son « moral » contribuent pour une large part à sa guérison. Mais on touche ici à l’intangible à l’irrationnel, à l’inexpliqué...
La logique médicale ne tient pas à s’embarrasser de raisonnements psychologiques ou philosophiques.
Pourtant, dès lors que l’on s’intéresse au cerveau et à la maladie mentale, on est obligé d’y faire référence et la pratique psychiatrique y a toujours trouvé sa spécificité.

Dès l’Antiquité, trois causes principales vont être retenues et se disputeront au cours des siècles pour fournir une explication à l’émergence de la folie :

-Des causes surnaturelles, magiques ou religieuses :

Héritage des traditions culturelles, les idées de superstition, de
possession, de maléfice hanteront l’histoire de la folie et déter-
mineront sa condamnation par l’Eglise.

-Des causes organiques :

Un déséquilibre des humeurs, une maladie physique peuvent en-
traîner la folie. C’est le point de départ des théories Hippocratique
ou Galénique et des explications matérialistes de la neurologie ou
de la neuropsychiatrie.

-Des causes psychologiques :

Très tôt, la folie est aussi perçue comme l’expression d’un conflit
intérieur, mettant en dualité l’âme et le corps ou l’individu dans ses
rapports avec la société.

Tandis que les domaines du surnaturel et de l’organique sont ceux des prêtres et des médecins, celui du psychologique appartient aux philosophes qui donnent à la psychiatrie naissante toute sa portée anthropologique et sociologique.
Partant de là, on peut suivre l’évolution de ces considérations au fil du temps et voir de quelle manière chaque époque a traité ses fous, les a acceptés ou refusés, compris ou châtiés...

Peu à peu, s’éloignant de la démonologie et des superstitions, la psychiatrie est parvenue à s’arracher du médical pour s’affirmer comme une science à part entière, autonome, avec ses propres soignants et ses projets de prévention et de sectorisation.
Elle a acquis ainsi une dimension sociale, et son histoire s’est retrouvée étroitement liée à celle de la société.

Aujourd’hui, notre fin de XX e siècle et début de XXI e affichent une volonté déterminée de supprimer sa spécificité à la psychiatrie. Le soin n’est plus basé sur la compréhension du sens de la maladie. La psychopathologie et la clinique s’effacent devant un rationalisme médical strict qui impose le silence à l’expression du symptôme.
Le médicament, devenu roi, semble détenir tout pouvoir sur la folie et prend la place du savoir-faire et de l’expérience du soignant.

Dans sa pratique, l’infirmier a de plus en plus le sentiment de n’être qu’un distributeur de molécules chimiques. Et le temps qu’il passe encore à l’écoute du malade lui parait bien inutile et superflu, puisque le seul acte thérapeutique qu’on lui demande consiste en l’application rigoureuse des prescriptions pharmacologiques.

Où est passé le discours sur la folie ?

Qu’en est-il de cet espoir qui tantôt avait ouvert à la psychiatrie la possibilité de travailler sur la prévention et la prophylaxie, envisageant ainsi de soigner le trouble mental dans son environnement social ?

Cet abandon du psychologique et du sociologique au profit d’une soumission passive à l’ordre médical laisse peut-être entrevoir des enjeux économiques ou financiers...
Mais les soins que l’on dispense aux malades mentaux peuvent-ils se résumer uniquement à une prise de traitements ?

Prisonnière de cette médicalisation, la folie est condamnée à retrouver ses origines organiques, c’est à dire chimiques,biologiques, héréditaires, virales etc...
Et l’infirmier y perd son appellation de « psychiatrique », tandis que le psychiatre se contente de devenir un simple praticien hospitalier.
En lui supprimant ses soignants, on espère peut-être en finir avec la maladie mentale.

Néanmoins, depuis l’origine des temps, il y a cette rencontre inévitable de l’homme et de la folie. Et les chiffres en témoignent encore aujourd’hui :
830 000 adultes sont suivis chaque année par des services publiques pour troubles psychiatriques et 300 000 personnes effectuent un séjour par an en services spécialisés.
10 % des consultations d’un médecin généraliste concernent des problèmes psychiques.

L’histoire peut nous aider à retrouver le sens que doit avoir la psychiatrie, ce à quoi elle doit répondre pour sortir de l’impasse actuelle d’incompréhension dans laquelle elle est tombée. En redécouvrant l’importance du psychologique et du social, on redécouvre toujours la nécessité de prendre en charge d’une façon spécifique, les troubles mentaux.

Mais il y a cette politique de rentabilité, le manque de moyens, la suppression des lits et du personnel, le retour des contentions…Sans compter l’hygiénisme ambiant et les basses attaques du politique et des médias, dignes de l’âge d’or de l’absolutisme, qui diabolisent et criminalisent les malades mentaux . La situation est compliquée pour les soignants et la peur est tenace et bien entretenue…

Mais les murs qui contiennent la folie sont peut être bien tout autour de nous …

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